Évoquons le modèle économique du Hub

Les Hubs ont bénéficié au démarrage d’un fonds d’amorçage pour faciliter leur développement sur leur région respective. Ce fonds a couvert les deux premières années de Hubikoop (2019 et 2020). Ce fonds d’amorçage était de 440 000 € pour les deux ans. Les autres financements du Hub sur les années suivantes provenaient des différents appels à projets nationaux et locaux auxquels nous avions répondu.

À l’issue de ces deux ans de démarrage, il était attendu que les Hubs diversifient leurs activités pour ne pas dépendre exclusivement de l’État. À l’époque, les Hubs étaient encore expérimentaux : le maintien de leur existence n’était pas acquis. Le dispositif devait faire preuve de son utilité.

Dès le départ, le développement d’un chiffre d’affaires était un impératif, tout comme l’hybridation du modèle économique, afin de le rendre viable. C’était d’autant plus vrai pour Hubikoop, qui a fait le choix en 2020 de devenir une organisation totalement indépendante, dont le cœur de l’activité reposait exclusivement sur les missions des Hubs. 

En théorie, cela s’entend et est même une évidence. 

Dans les faits, une hybridation comprend une partie subventionnée et une partie plus classique, commerciale. Avec pour objectif d’arriver à un mix à peu près équilibré entre ces deux sources.

Ce qui pose à notre sens deux problématiques.  

La (sempiternelle) question des subventions

Une partie du modèle économique du Hub reposait sur la réponse à des appels à projets. Là non plus, ce ne sera pas une surprise pour grand monde : il en existe quelques uns concernant les sujets de l’inclusion numérique. 

Cependant, ils concernent bien souvent l’accompagnement direct des publics en difficulté avec le numérique, plutôt que l’accompagnement de celles et ceux qui accompagnent lesdits publics. Les appels à projets concernant les professionnels de l’accompagnement sont finalement assez rares. Quand ils existent, ils concernent souvent le territoire national, et non le territoire exclusif d’une région.

Contrainte supplémentaire de l’exercice : les co-financements, obligatoires dans la plupart des cas. Un mécanisme financier qui paralyse énormément notre capacité à répondre aux appels d’offres. Pas de cofinancements, pas d’appels à projets remportés. Parce qu’évidemment, même en étant dans les clous, rien ne dit que l’appel à projets sera remporté.

D’autant qu’il faut être capable de tenir la distance derrière. La réponse aux appels d’offres nécessite des compétences et du temps (qui n’est jamais financé, même en cas de succès) avant même que ceux-ci ne commencent.

Un temps qui a forcément une répercussion sur les équipes, notamment les plus petites, qui ne disposent pas d’une fonction commerciale dédiée. Elles doivent composer entre la recherche de financements en plus de leurs attributions actuelles, sans compter celles à venir. C’était notre cas. 

Ce fonctionnement, de fait, inscrit dans la durée une instabilité structurelle pour les organisations, notamment les plus petites. D’autant que les financements sont fléchés sur le développement de projets spécifiques, plutôt que sur les missions originelles du Hub, à savoir la création, l’animation et l’accompagnement de réseaux d’acteurs.

Les financements dits “de fonctionnement” sont rares, encore plus pour une structure récente comme Hubikoop. Même si la valeur d’un réseau animé et structuré est reconnue et félicitée, son financement est rarement au rendez-vous.

Chiffre d’affaires et mission d’intérêt général : l’éternel débat

Oui, l’inclusion numérique est une mission d’intérêt général.

C’est un débat qui traverse l’écosystème : comment intégrer une logique commerciale à une action qui devrait être de l’ordre du service rendu au public ? Et au-delà de la question du « comment » se pose la question du « pourquoi » ?

On pourrait argumenter que la mission d’intérêt général est surtout vraie pour les acteurs en contact direct avec les publics les plus fragiles, et non le reste. Dès lors, commercialiser les services de Hubikoop pouvait être envisageable pour nos principaux bénéficiaires : les départements et les organisations menant des actions d’accompagnement numérique. 

Là aussi, cette stratégie, sur le papier, se tient.

Elle vient toutefois contredire ce qui fait l’identité d’un Hub tel qu’ils ont été pensés. À savoir : être une ressource neutre pour l’ensemble des acteurs d’un territoire

Entrer dans une logique de prestation commerciale provoque nécessairement une iniquité de traitement entre les acteurs qui paient et les autres, qui souvent ne le peuvent pas. D’autant plus que ce sont souvent les territoires les plus en difficulté qui ne sont pas en mesure de financer des prestations, faute de moyens.

Faire concurrence

De plus, développer une offre de services et la commercialiser nous mettrait de facto  en concurrence avec les acteurs locaux, souvent déjà bien installés sur les territoires, disposant d’une proposition de valeur similaire. C’est un reproche qui nous a souvent été opposé… Alors que l’objectif du Hub est précisément de soutenir lesdits acteurs, pas de revendiquer les parts de marché à prendre.

La commercialisation pose ainsi un réel problème de cohérence et de positionnement pour un Hub.

Autre problème, auquel nous avons été confronté :

Les Hubs sont des structures avec un territoire dédié, leur région. Les offres des Hubs, notamment le conseil et l’accompagnement, pouvaient cependant dépasser les frontières régionales pour intéresser d’autres territoires, couverts par un autre Hub… nous mettant ainsi en compétition avec nos homologues

À cette compétition s’ajoute celle d’autres acteurs, nationaux, capables de déployer le même service, sans restriction territoriale. Des acteurs suffisamment structurés en interne pour pouvoir répondre à plusieurs appels d’offres en même temps. Ce que les Hubs peuvent difficilement faire sans faire exploser les plans de charge.

En conclusion

Face à toutes ses contraintes, le modèle économique de Hubikoop était par essence fragile. Quand bien même il a tenu jusqu’en 2023.

Il suffisait d’un grain de sable, comme la non-obtention d’un marché, du retard dans le déploiement d’un projet, la dégradation des subventions ou encore le désengagement progressif de soutiens institutionnels pour remettre en cause la stabilité de la structure.

Nous avons vécu coup sur coup ces quatre éléments durant les 2 trimestres précédents.

Cela aurait quand même pu passer, si les projections à moyen terme étaient positives. Mais là aussi, les perspectives ne sont pas bonnes. Même le scénario avec un Hub à l’effectif réduit de moitié n’aurait fait que repousser de quelques mois l’inévitable.

Pour beaucoup, la fin de Hubikoop constitue une surprise. Pour nous, elle ne l’est pas, même si nous pensions disposer de plus de temps. De nombreuses structures de l’inclusion numérique alertent régulièrement les pouvoirs publics des difficultés économiques inhérentes à cet écosystème et à son fonctionnement.

Il serait probablement temps que l’ensemble des institutions politiques se saisissent pleinement du sujet et y apposent des fonds à la hauteur de l’enjeu. Car celui-ci est trop important pour être le parent pauvre des politiques publiques sur le numérique.